La guerre en RDC témoigne du réveil d’une guerre qui couvait depuis des années. Au-delà des réactions émotionnelles que suscitent les images, toujours recommencées, des victimes civiles fuyant les zones de combat, les pillages et les viols perpétrés par toutes les forces armées impliquées dans le conflit ou celles du recrutement forcé d’enfants soldats, se posent des questions de fond.
Le réveil d’une guerre qui couvait depuis des années était inéluctable dans la mesure où aucune des causes d’un conflit multidimensionnel n’a disparu. Au-delà des réactions émotionnelles que suscitent les images, toujours recommencées, des victimes civiles fuyant les zones de combat, les pillages et les viols perpétrés par toutes les forces armées impliquées dans le conflit ou celles du recrutement forcé d’enfants soldats, se posent des questions de fond. Pourquoi ces violences récurrentes dans cet espace montagnard, notamment le Masisi à l’est de Goma, qu’on pouvait considérer, à la fin des années 1980, comme un modèle d’auto-développement ? Quels sont les acteurs d’un conflit dont la durée et les rebondissements après chaque phase d’accalmie signifient qu’il est l’expression de tensions structurelles ? Enchâssé dans l’entité géopolitique des Grands Lacs, le Kivu est partie prenante, d’un système régional de conflits. La guerre qui s’y déroule constitue une sérieuse entrave à la reconstruction de la RDC, et une menace pour la stabilité de toute la région : aujourd’hui plus que jamais le Kivu est la poudrière de l’Afrique Centrale.
Les tentatives de règlement politique qui se sont succédé depuis plus d’un an se soldent par un échec. La diplomatie a été balayée par les dynamiques de guerre. Les (bonnes) résolutions concernant le désarmement des groupes armés illégaux ne sont jamais allées au-delà de l’effet d’annonce. Un communiqué commun signé à Nairobi par la RDC et le Rwanda le 9 novembre 2007 visant notamment le désarmement des milices est resté lettre morte. Du 6 au 23 janvier 2008, une « Conférence sur la paix, la sécurité et le développement », réunie à Goma après de graves revers des forces armées congolaise en décembre 2007 a initié le processus dit « Amani » (paix en swahili) auquel adhérèrent 22 groupes armés. Cette conférence qui s’est à nouveau prononcée sur le désarmement de toutes les milices s’est avérée tout aussi vaine que les initiatives précédentes, ce qui donne l’impression que chaque réunion vouée à la recherche de la paix est comme le prélude à une recrudescence des combats. Ce qui se joue derrière l’orchestration médiatique des conférences relève d’une diplomatie de poker menteur. Les déclarations conjointes des belligérants et leurs embrassades, ne sont que des mises en scène masquant la réalité brutale d’une guerre qui risque de durer encore longtemps. Amani bien vite oublié, la guerre a repris de plus belle en août 2008 pour redoubler d’intensité en octobre, faisant fi de l’embargo sur les armes annoncé par le Conseil de Sécurité de l’ONU quelques mois plus tôt. Les troupes du CNDP après s’être emparé de Rutshuru se sont approchées de Goma, avant de se replier à une quinzaine de kilomètres de la capitale du Nord Kivu. Le statu quo actuel – provisoire sans aucun doute – est mis à profit par l’ONU pour tenter une nouvelle médiation confiée à l’ancien Président du Nigeria Olusegun Obasandjo, secondé par l’ancien Président de la Tanzanie Benjamin Mpaka. Cette initiative aura-t-elle plus de succès que les précédentes ? Rien n’est moins sûr, tant la situation est complexe, les acteurs nombreux, les intérêts multiples, les haines empilées sous l’effet du malheur et de son exploitation politique. Les toutes dernières résolutions adoptées le 22 décembre 2008 par le Conseil de Sécurité traduisent toutefois une inflexion de l’ONU qui semble décidée à rendre plus robuste le mandat de la MONUC et à la doter de moyens supplémentaires.
Un court article ne permet pas d’explorer à fond toutes les facettes du drame humain qui se déroule au Kivu. J’essayerai d’en donner quelques clés de compréhension en dressant l’état des acteurs et des enjeux.
Acteurs et forces en présence
La phase actuelle de la guerre du Kivu est dominée par les combats opposant les troupes rebelles du général Laurent Nkunda à l’armée congolaise et ses alliés locaux. Le théâtre des opérations militaires se situe dans la province du Nord-Kivu, plus précisément dans deux territoires, celui de Rutshuru, frontalier du Rwanda et de l’Ouganda, et celui du Masisi. Parmi les acteurs partie prenante au conflit, on distinguera pour des raisons de clarté, les acteurs intérieurs et les acteurs extérieurs.
Les acteurs intérieurs impliqués dans les conflits au Kivu
Le Congrès National pour la défense du peuple (CNDP)
Ce mouvement politico-militaire est issu au départ de populations rwandophones, désignées sous l’appellation générique de « Banyarwanda » et plus précisément de leur composante tutsie « Banyamulenge ». Son chef, le général Laurent Nkunda, a justifié sa rébellion par la nécessité de protéger les Tutsis du Congo, dont la sécurité et les intérêts économiques apparaissent menacés depuis que la mise en œuvre des accords de Pretoria7 a modifié la configuration géopolitique de la nouvelle République Démocratique du Congo. Il a créé à cet effet l’Anti-Genocide Team (devenu par la suite le Comité militaire pour la défense du peuple, CMDP) au lendemain du massacre des Banyamulenge réfugiés dans le camp burundais de Gatumba. Résultant de la fusion, en août 2005, entre le CMDP et l’ONG Synergie Nationale pour la Paix et la Concorde (SNPC), le CNDP s’est doté de statuts en juillet 2006, entérinant ainsi sa création. Son siège politique est situé dans le territoire de Masisi. Son aile militaire, dénommée « Armée nationale congolaise (ANC) » est dirigée par le général Bosco Ntaganda – ou était, car une « guerre des chefs » vient de se déclarer en janvier 2009, ce dernier contestant désormais l’autorité de Nkunda qu’il accuse d’être un obstacle à la paix.
De profondes affinités rapprochent les Tutsis congolais de ceux du Rwanda. Un certain nombre de cadres militaires du CNDP, dont Laurent Nkunda lui-même, s’étaient engagés au côté du Front Patriotique Rwandais jusqu’à la prise du pouvoir à Kigali en juillet 1994. Il en est resté des liens personnels avec l’armée rwandaise, la Rwanda Defense Forces (RDF). Nkunda participa activement à la campagne de Laurent Désiré Kabila qui devait renverser le régime de Mobutu en 1997. Lorsque la rébellion contre Kinshasa se déclencha en 1998, ce sont des militaires tutsis, soutenus par le Rwanda, qui ont constitué l’ossature des forces armées du RCD-Goma, lequel exerça le pouvoir au Kivu pendant la durée de la guerre civile. Au printemps 2004, à peine un an après le retrait des troupes rwandaises et ougandaises de l’Est du Congo, une partie de ces militaires est entrée en dissidence sous la houlette de Nkunda. Après plusieurs tentatives destinées à les intégrer dans la nouvelle armée congolaise (FARDC), le processus dit de « mixage » ou de « brassage » s’est finalement soldé par un échec préludant à la reprise des combats fin 2007.
Cette trajectoire explique en grande partie l’efficacité des troupes du CNDP. Aguerries dans les combats passés, elles maîtrisent l’art de la guerre ; structurées autour d’un encadrement tutsi bien que de plus en plus ouverte à des recrutements de combattants d’autres ethnies, elles ne connaissent pas les faiblesses de l’armée congolaise qui ne parvient pas à devenir « nationale ». Fortes enfin du soutien de Kigali, notamment en logistique et en équipements, elles représentent la composante armée la mieux organisée et la plus déterminée de tous les belligérants. Ses effectifs sont évalués entre 4000 et 7000 hommes. Depuis ses premières victoires sur les FARDC, les forces armées du CNDP n’ont cessé de monter en puissance ; à l’automne 2008 elles se sont emparées d’une grande quantité d’armes et de munition lors de la prise du camp militaire de Rumengabo, situé au nord de Goma. Dans les zones qu’il contrôle, estimées au tiers des territoires de Rutshuru et de Masisi, le CNDP s’organise sur le modèle de l’Etat. Il prélève divers « impôts » : dîmes sur les productions agricoles, taxes sur le charbon de bois, péages routiers, contributions des commerçants etc. Il exerce par ailleurs un contrôle sur le poste frontière de Bunagana où il prélève une part des recettes douanières de l’Office des douanes et accises (OFIDA). Deux sites web lui servent de support d’information et de propagande. La diaspora tutsie participe en outre à son financement.
Les objectifs de Nkunda se sont élargis depuis 2007, tout comme le rayonnement du CNDP qui recrute désormais largement au-delà du périmètre tutsi pour se donner la stature d’un mouvement national. A l’agenda local (protection des Tutsis et lutte contre les groupes armés Hutus considérés comme des acteurs du génocide de 1994), s’ajoute l’ambition de jouer un rôle sur la scène nationale. Nkunda se construit un personnage ambivalent, et inquiétant, « la Bible dans une main, une kalachnikov dans l’autre ». Tantôt guerrier, tantôt pasteur évangélique, le général se taille un costume de chef militaire et de leader politique aux accents de prophète. Pense-t-il à étendre la guerre au-delà du Kivu avec la prise du pouvoir à Kinshasa en ligne de mire ? L’épopée Kabila continue à faire rêver, mais l’histoire ne se répète pas. Autre hypothèse communément véhiculée, Nkunda serait le cheval de Troie d’un Rwanda qui envisagerait une expansion territoriale à l’ouest, à tout le moins la récupération des territoires dont l’accord germano-belge de 1910 l’a amputé. Le dogme de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation pourrait bien connaître ici un premier accroc. Cette hypothèse n’est jamais énoncée officiellement, mais côté Congo on attribue des intentions expansionnistes au Rwanda qui de son côté ne se prive pas d’évoquer la « spoliation » territoriale consécutive au tracé frontalier colonial. Les interventions du Rwanda dans l’Est de la RDC ne sont toutefois justifiées par Kigali qu’en raison de la nécessité de combattre les « forces négatives » hutues, ces anciens «génocidaires » qui ont trouvé refuge au Kivu et constituent un fort potentiel d’insécurité.
Le Front Démocratique de Libération du Rwanda (FDLR)
C’est sous ce label que les survivants des FAR (Forces Armées Rwandaises durant la période où les Hutus exercèrent la pouvoir) et des miliciens interahamwe, acteurs centraux du génocide de 1994, ont cherché à se donner une respectabilité politique. Depuis la destruction en 1996 des camps de réfugiés hutus installés au Zaïre, une dizaine de milliers de rescapés ont trouvé refuge dans les forêts du Kivu où ils ont fini par s’installer durablement avec la bienveillance sinon le soutien actif de Kinshasa. Pour Kigali, la présence de ces Hutus en RDC représente une pomme de discorde interdisant toute relation durablement pacifiée entre les deux pays, mais elle est aussi un alibi commode pour légitimer diverses formes d’intervention rwandaises au Kivu. Depuis la recrudescence des combats entre l’armée rebelle de Laurent Nkunda et les forces armées congolaises, le FDLR lutte ouvertement au côté de celles-ci qui lui fournissent armes et munitions. Outre cette source d’approvisionnement, le financement de la composante armée du FDLR provient principalement de l’exploitation des ressources minières dans les zones qu’il contrôle au Nord et au Sud Kivu. Le communiqué commun signé par la RDC et le Rwanda le 9 novembre 2007 soulignait la priorité de s’attaquer au problème du désarmement et du rapatriement des Forces démocratiques de libération du Rwanda. La résolution 1856 du 22 décembre 2008 insiste à nouveau sur ce point, avec raison car aucune sortie de crise n’est imaginable sans ce préalable. Mais il y a plus de dix ans que l’on tient ce discours sans qu’aucune action n’ait été entreprise…La présence des FDLR arrange bien des acteurs en eau trouble.
Les miliciens Mai-Mai
Ces milices, apparues lors de la rébellion de l’Est du Congo en 1964, ont resurgi à la faveur de la situation chaotique du Zaïre des années 1990. Elles constituent des groupes d’auto-défense des communautés locales et présentent par suite une forte identité ethnique. Les groupes maï maï sont à la fois très autonomes et facilement instrumentalisés par les leaders politiques et autres entrepreneurs de guerre ; leurs alliances sont changeantes, le seul point commun résidant dans le rejet des « étrangers », en l’occurrence les Rwandais et par extension tous les originaires du Rwanda, principalement les Tutsis. Dans le contexte actuel ils combattent au côté des FARDC. Au total, les groupes armés illégaux maï-maï, qui recrutent parmi les populations « autochtones », et FDLR constitués de Hutus se retrouvent unis dans leur combat commun contre les Tutsis du CNDP, dans un conflit fortement tribalisé. Leurs combattants sont davantage motivés que des FARDC sans unité et gangrenées par la corruption de leur encadrement.
Les FARDC, Forces Armées de la République Démocratique du Congo
Elles ne constituent toujours pas une armée unifiée, disciplinée et en ordre de marche. L’échec du « brassage » entre les composantes militaires prévu par les accords de paix de Prétoria est patent. Pas seulement au Kivu, comme l’ont montré les violents combats à Kinshasa qui en mars 2007 se sont soldés par l’élimination de la garde prétorienne de Jean-Pierre Bemba, principal opposant au Président Joseph Kabila. La nouvelle armée congolaise présente les mêmes faiblesses que celles des ex-Forces Armées Zaïroises (FAZ) de Mobutu, balayées en 1996-1997 par l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération du Congo-Zaïre (AFDL) de Laurent Désiré Kabila : troupes mal payées et contraintes de facto à vivre sur le pays, manque de discipline, coupure entre l’Etat-major à Kinshasa et le terrain des opérations, corruption d’officiers plus sensibles à la « politique du ventre » qu’à l’engagement au combat. La débandade des soldats des FARDC après chaque avancée de l’armée du général Nkunda témoigne de la faiblesse de leurs capacités combattantes, tout comme les actes réitérés de pillage et de violences sur les populations de l’absence de toute éthique militaire.
La MONUC, Mission des Nations Unies au Congo
Créée en novembre 1999, elle est la plus importante et la plus coûteuse des missions actuelles des Nations Unies. Elle compte actuellement quelque 17 000 soldats dont plus de 5 000 au Nord Kivu. En dépit de cet engagement dont le coût annuel se chiffre à plus d’un milliard de dollars US (par comparaison le budget prévisionnel de la RDC pour 2007 dépassait à peine 2 milliards de dollars), il n’est ni exagéré ni provocateur de dire qu’elle a surtout servi à verser de confortables salaires à ses militaires-fonctionnaires. Il est vrai qu’ils sont originaires de pays en développement et que par conséquent la guerre au Kivu participe d’une certaine manière à l’aide internationale en faveur des pays du Sud…. Les populations du Kivu, en dehors des prostituées, de quelques chauffeurs recrutés localement, et d’intermédiaires avisés savent quant à elles qu’elles n’ont pas profité de leur présence : l’essentiel des approvisionnements de la MONUC est importé ; surtout, la protection des populations civiles n’a pas été assurée. Le nombre de victimes depuis le début de la guerre civile, établi notamment à partir d’enquêtes de Rescue Commitee, s’élèverait à 4 millions de morts, sinon plus. Les chiffres résultent d’extrapolations qui ne sont pas scientifiquement incontestables ; ils donnent cependant une idée de l’ampleur des souffrances du peuple congolais. Des millions de victimes d’un côté, une dizaine de milliards de dollars dépensés depuis la création de la Monuc de l’autre, la guerre qui repart de plus belle : le bilan est atterrant.
Les Nations Unies envisagent pourtant d’augmenter de quelque 3 000 hommes les effectifs de la MONUC : mais quels résultats peut-on en attendre s’il n’y a pas de réelle volonté politique qui permettrait aux casques bleus de s’engager militairement au-delà de leur propre protection ou d’opérations d’interposition sans lendemain ? La préoccupation principale de l’ONU étant qu’il n’y ait aucune victime dans les rangs de ses « soldats », comment pourrait-elle pacifier le Kivu, c’est-à-dire désarmer les FDLR, les Maï-Maï, et les troupes du CNDP ! Les programmes pourtant très modestes dits DDRRR (Désarmement, Démobilisation, Rapatriement, Réinstallation, et Réinsertion) ou, encore plus modestes DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) qu’elle a mis en place donnent surtout du grain à moudre aux humoristes congolais. L’inefficacité de l’ONU n’est toutefois pas le seul fruit de sa lourdeur bureaucratique : on peut supposer qu’elle traduit aussi l’absence d’une concordance de vues entre les membres permanents du Conseil de Sécurité, notamment entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’une part, la France de l’autre.
17L’escalade d’un conflit qui menace « la paix et la sécurité internationale dans la région » a fini par convaincre le Conseil de Sécurité de muscler son action en RDC en la concentrant dans l’est de la RDC. Outre ses missions actuelles (protection des civiles, désarmement et démobilisation des groupes armés illégaux…) la MONUC est désormais clairement mandatée pour « Utiliser ses moyens de surveillance et d’inspection pour empêcher les groupes armés illégaux de bénéficier d’un appui provenant du trafic des ressources naturelles ». La résolution 1856 « engage tous les Etats, en particulier ceux de la région, à prendre les mesures voulues pour mettre fin au commerce illicite de ressources naturelles ». Dans la foulée, la résolution 1857 élargit l’arsenal des sanctions qui incluent désormais « les personnes ou entités appuyant les groupes armés illégaux… au moyen du commerce illicite de ressources naturelles ». L’exploitation des ressources comme facteur de perpétuation du conflit est donc clairement ciblée. Reste à savoir si la MONUC et les Etats membres de l’ONU réussiront à passer de l’intention, dont l’enfer comme chacun sait est pavé, à l’acte.
Les forces extérieures : le Rwanda, un mal pour le Congo-Kinshasa
Le Rwanda est un acteur essentiel de la guerre du Kivu. Non seulement parce que la déstabilisation de l’Est de la RDC est la conséquence directe de ses problèmes internes (surpeuplement et exportation de ses violences intercommunautaires), mais aussi parce que Kigali essaye d’exercer un contrôle sur l’Est du Kivu, tant pour sa sécurité que pour s’approprier des terres et des ressources minières. L’Ouganda a aussi des visées économiques sur le nord de la province, mais il est surtout concerné par le conflit, à certains égards comparable, de l’Ituri.
19La question de l’implication du Rwanda dans la guerre du Kivu fait toujours problème car elle pose in fine celle du périmètre de l’Etat. Le chevauchement d’identités ethniques transfrontalières et d’appartenances nationales dessine des configurations complexes et des statuts ambigus. Pour les adversaires de Nkunda, qui lui-même se revendique Congolais à part entière, il ne fait aucun doute qu’il est à la solde de Kagame. L’engagement au début des années 1990 d’un grand nombre de Tutsis du Congo auprès du FPR et l’étroite collaboration entre le Rwanda et le RCD Goma entre1998-2002 ont créé des solidarités actives, au point qu’il est difficile de faire le partage entre ce qui est « congolais » et « rwandais » – une ambivalence qui alimente l’hostilité des autres groupes ethniques du Kivu. En s’appuyant sur des réseaux transfrontaliers, familiaux, culturels, ou d’affaires, le Rwanda reste en tout cas un acteur omniprésent sur la scène économique, politique et militaire du Kivu. Son appui au CNDP, sans être inconditionnel pour des raisons de stratégie politique propre à Kagame, s’exerce sans doute moins dans le domaine militaire sauf peut-être dans la zone frontalière, que dans celui des services, télécommunication, système bancaire, facilités commerciales etc. Il se pourrait que le CNDP soit en train de se substituer au RCD-Goma comme acteur privilégié des relations avec le Rwanda.
Les facteurs de guerres dans le Kivu
L’éditorial de La Lettre de la Cade de novembre 2008 analyse la guerre du Kivu dans les termes suivants : « cette tragédie… n’est pas une guerre ethnique, même si l’on retrouve de part et d’autre des Hutus et des Tutsis, même si l’instrumentalisation de l’ethnisme reste une tentation pour les belligérants. Cette guerre …est à la fois la rébellion d’un jeune général ambitieux et une empoignade sordide pour le contrôle de ressources minières et de profits considérables totalement incontrôlés. Elle est aussi le troisième acte du génocide rwandais de 1994, le second s’étant déjà joué au Kivu. Elle est enfin le résultat des insuffisances politiques et militaires d’une ONU affaiblie par une politique américaine devenue l’otage de sa guerre contre le terrorisme». A ces causes du conflit manque toutefois un élément essentiel : la dimension géo-démographique.
L’images des Tutsis et des Hutus
Au début de l’année 1994, un terme avait été mis aux massacres du Masisi grâce notamment à l’intervention des autorités coutumières. Quelques mois plus tard une catastrophe d’une tout autre ampleur s’abattait sur le Kivu : le déferlement massif des Hutus fuyant le Rwanda devant l’avancée victorieuse de l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR). La guerre du Rwanda, sur fond d’exaspération des haines entre Hutus et Tutsis jusqu’au paroxysme du génocide de 1994, étendit alors ses métastases au Kivu. L’installation durable de plus d’un million de Hutus dans des camps de réfugiés situés à proximité de la frontière rwandaise contribua à déstabiliser une région déjà fragile, réactivant l’hostilité des autochtones envers les Banyarwanda, mais surtout envers les Tutsis congolais, lesquels ne cachaient pas leurs sympathies pour le nouveau régime de Kigali. Plusieurs milliers d’entre eux avaient d’ailleurs rejoint les rangs de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR). Beaucoup participèrent à l’opération militaire initiée par le Rwanda pour éliminer les camps de réfugiés du Kivu. Ils servirent de couverture à l’offensive de l’automne 1996 et firent le lit de l’AFDL de Laurent Désiré Kabila. Ils prirent part à la destruction des camps et aux massacres massifs des Hutus qui l’ont accompagnée. Si les rescapés qui forment aujourd’hui l’ossature du FDLR ont pu maintenir leur présence au Kivu, c’est avec la complicité de certaines autorités locales hostiles aux Tutsis. Cette hostilité recouvre souvent des rivalités économiques, comme c’est par exemple le cas parmi les Nande de Butembo et de Béni dont les grands commerçants sont en concurrence avec les Tutsis. On assiste ainsi à des recompositions des antagonismes ethniques, les autochtones pouvant se rapprocher des Banyarwanda hutus dans des alliances de circonstance contre les Tutsis.
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